Il flotte dans l’air européen comme un parfum des années 1930 : sur fond de crise économique et d’impuissance des gouvernements, les nationalismes et les autoritarismes progressent partout en Europe. Quatre-vingts ans plus tard, à l’occasion de la journée de l’Europe le 9 mai dernier et de la campagne des élections européennes en cours, les dirigeants européens s’accordent tous sur une même affirmation : grâce à l’Union Européenne, la guerre en Europe est désormais impossible.

Ce constat se vérifie… pour l’Europe de l’Ouest. La France et l’Allemagne se sont réconciliées, le marché commun a fondé une interdépendance étroite entre les peuples, et les Etats s’accordent sur des standards de protection des droits de l’Homme élevés. Pourtant, ce serait oublier la situation géopolitique de l’Est du continent, encore instable. La crise ukrainienne montre que la Russie de Vladimir Poutine entend désormais reprendre son contrôle sur les anciennes démocraties populaires et républiques soviétiques, même intégrées à l’UE. L’Europe de l’Est, loin d’être aussi apaisée que l’Ouest, est un potentiel foyer de conflits qui peuvent dégénérer en guerre.

Il ne s’agit pas ici de prédire l’avenir, ni d’être catastrophiste. Personne ne peut prévoir ce qu’il se passera dans un an, quatre ans, voire dix ans. Les scénarios présentés ci-dessous, malgré un effort de réalisme, ne sont pas faits pour se produire réellement, espérons-le. Il s’agit ici uniquement de présenter les principaux potentiels foyers de conflits au sein même de l’Europe actuelle qui pourraient dégénérer en guerre.

Un premier foyer de tensions : les Etats baltes

Les pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) ont acquis leur indépendance de l’ex-URSS en 1991, et ont adhéré à l’UE en 2004. Malgré une situation économique incomparable, ces pays ont deux points communs avec l’Ukraine : ce sont d’anciennes républiques soviétiques dont la part des russophones dans leur population est supérieure à 10%. Des tensions existent déjà avec la Russie voisine, plus particulièrement en Estonie, où les deux pays s’affrontent régulièrement par l’intermédiaire d’Internet. Mais, à l’image de la Crimée, la Russie pourrait potentiellement être déterminée à évincer l’Europe et reprendre son influence sur la région en prétextant que des russophones y vivent. Il faut dire que les pays baltes représentent un débouché maritime, la Mer Baltique, intéressant en termes économiques.

Cette prose d’influence russe sur les pays baltes, si elle venait à se concrétiser, entraînerait dans la Scandinavie voisine (Suède, Norvège, Finlande) des mouvements de peur. Ces Etats, longtemps voisins de l’ex-URSS, ont une crainte historique de la Russie, crainte d’autant plus affirmée que ces Etats sont militairement dépendants des Etats-Unis et, plus largement, de l’OTAN. On peut ainsi s’attendre à ce que les pays scandinaves fassent pression sur l’UE et les Etats-Unis pour faire pression sur Vladimir Poutine, afin qu’il se désintéresse de la région balte. Toutefois, compte tenu des résultats des négociations récentes sur l’Ukraine et de l’hésitation des dirigeants occidentaux à s’accorder sur des sanctions lourdes contre la Russie, il est probable que les Occidentaux demeurent divisés sur la question balte.

pays-baltes

À l’heure actuelle, ni les trois Etats baltes, ni la plupart de leurs populations russophones, n’ont exprimé leur intention de se rapprocher de la Russie. Cependant, la Russie prenant confiance en elle même depuis l’annexion de la Crimée, il n’est pas à exclure que Vladimir Poutine ne fasse connaître ses intérêts pour la région balte dans les prochains mois.

Deuxième source d’interrogation : la Hongrie de Viktor Orbàn

Le parti nationaliste-conservateur hongrois, le Fidesz-Union civique hongroise, et son leader, Viktor Orbàn, gagnent les élections législatives hongroises en 2010. Son gouvernement est clairement nationaliste et euro-sceptique, n’hésitant pas à instaurer une nouvelle Constitution résolument nationaliste et réduisant considérablement les pouvoirs des juges constitutionnels, malgré les sanctions prises par la Commission Européenne. Les élections législatives de 2014 confirment Viktor Orbàn au poste de Premier Ministre, mais marquent également la victoire du parti nationaliste Jobbik, recueillant 20% des suffrages. Ensemble, le Fidesz et le Jobbik rassemblent plus de 60% des suffrages exprimés.

La Hongrie post-communiste présente un paradoxe : désirant tourner la page de l’ère communiste, elle ressent pourtant une forte nostalgie de son ancien empire, démantelé lors du Traité du Trianon de 1920, sur fond de difficultés économiques. L’ancien empire hongrois s’étendait sur un territoire occupant l’actuelle Slovaquie, les deux tiers de l’actuelle Roumanie – où des locuteurs hongrois vivent encore –, l’actuelle Croatie, et une partie du sud-ouest de l’Ukraine. La crise urkainienne actuelle nourrit des volontés de revanche, jusqu’à profiter des difficultés ukrainiennes pour vouloir s’emparer du territoire perdu. Des opportunités d’expansion territoriale semblent apparaître pour l’Etat hongrois dans l’hypothèse d’un démantèlement de l’actuelle Ukraine. La situation hongroise ressemble à celle de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, après avoir perdu la Prusse historique.

Nous ne connaissons pas les projets de Viktor Orbàn, et nous savons aujourd’hui que les forces militaires hongroises, limitées, sont strictement encadrées dans le cadre de l’UE. Mais l’incertitude demeure dans le cas d’une aggravation de la crise ukrainienne. Dans l’hypothèse d’une agression hongroise, trois conditions doivent être réunies. D’abord, le peuple hongrois lui même doit faire pression sur le gouvernement pour préparer une intervention militaire. Deuxièmement, l’attaque doit se faire dans la surprise, ce qui implique de profiter de la division des Occidentaux sur les questions géopolitiques européennes. Troisièmement, la Hongrie a besoin d’un soutien de poids pour faciliter l’intervention : la Russie.

Victor Orban - Crédits photo : EPP

Victor Orban – Crédits photo : EPP

Un éventuel conflit balte diviserait encore davantage les Occidentaux, déjà divisés par la question ukrainienne. Ce conflit permettrait alors à la Hongrie de faire diversion. Quant à la Russie, qui entretient de bonnes relations avec le régime de Viktor Orbàn, elle pourrait voir dans une expansion territoriale hongroise une occasion d’étendre son influence sur le sud de l��Europe, et de profiter d’un débouché commercial sur la Mer Adriatique. Elle peut ainsi faciliter une attaque militaire hongroise sur ses anciens territoires perdus, et entretenir la division des Occidentaux.

Ce scénario, pour le moment improbable, n’est pas à exclure en cas de détérioration des relations occidentalo-russes.

Vers une guerre mondiale

Partant de l’hypothèse d’une attaque militaire de la Hongrie sur ses anciens territoires, la réponse de l’Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Royaume-Uni, Bénélux…) ne peut qu’être brutale, celle de déclarer la guerre à la Hongrie pour protéger les Etats menacés. La Russie, soutenant la Hongrie, n’a d’autres choix que de déclarer la guerre à son tour à l’Europe de l’Ouest. Ces déclarations entraîneraient de facto la fin de l’Union Européenne.

Elle entraînerait également la désintégration de l’OTAN, puisque la Hongrie en fait partie. Les Etats-Unis entrent alors sur la scène. La dissuasion nucléaire n’étant pas efficace, les Américains pourraient alors décider d’intervenir de façon neutre directement sur le sol européen pour « rétablir l’ordre ». Il serait probable que l’intervention américaine soit vue comme une ingérence américaine dans les affaires européennes par la Russie, qui déclarerait la guerre aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis se situeraient alors sur deux fronts : un front européen, et un front pacifique. La Russie pourrait en effet s’en prendre aux alliés américains sur le Pacifique (Japon, Philippines…), militairement faibles, pour affaiblir son ennemi. Le monde entrerait alors dans une troisième guerre mondiale.

Les incertitudes de la guerre

L’ONU : son intervention dans un conflit armé doit être autorisée par une résolution du Conseil de Sécurité. Tout dépend alors de l’attitude de la Russie. L’ONU ne pourrait envoyer les Casques bleus que si le veto russe n’est pas posé. Cependant, il semble difficile pour l’ONU d’intervenir dans un conflit mondial.

La Chine : son intervention dans le conflit est incertaine, et elle ne se décidera que plus tard. Aujourd’hui, la Chine présente une grande menace pour les Etats-Unis : en vendant l’ensemble des dollars de son trésor, elle est capable à elle seule d’appauvrir le pays. Cependant, depuis Mao, la Chine entretient des relations tendues avec la Russie, et les deux pays s’affrontent régulièrement sur des contentieux territoriaux, notamment autour du fleuve Amour. L’évolution du conflit poussera la Chine à choisir son camp, et sa participation sera décisive dans l’issue de la guerre. Si elle choisit de soutenir la Russie, alors elle utilisera l’arme économique pour disqualifier les Etats-Unis et affaiblir les Occidentaux. Si elle choisit de soutenir l’Occident, alors sa proximité directe avec la Russie lui permettra d’attaquer le pays plus facilement.

Comment éviter une catastrophe mondiale ?

Ces scénarios ne sont que descriptifs, et peuvent ne jamais se réaliser. Toutefois, il ne faut pas oublier les tensions montantes dans l’Europe de l’Est d’aujourd’hui, que la crise ukrainienne met en lumière. Personne ne peut prédire l’Histoire, mais elle nous montre que le cours des événements peut très rapidement s’accélérer, et déboucher sur des situations imprévues quelque temps auparavant.

Comment éviter un conflit similaire ? Ce n’est pas seulement une question de sanctions contre la Russie ou contre la Hongrie de Viktor Orbàn. En tant que pièce maîtresse de l’Europe, l’Allemagne d’Angela Merkel se doit de reprendre un rôle régulateur dans l’Europe centrale et orientale, et ne pas hésiter à calmer les tensions territoriales lorsqu’elles émergent. Ce qui implique alors que les Allemands doivent sortir de leur peur de redevenir hégémoniques.

Source : http://citizenpost.fr